Conseils notaires

SOCIETE CIVILE & DEMEMBREMENT CROISE

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La loi assure la protection du conjoint successible voire du partenaire de PACS. En revanche, le concubin même notoire ne dispose d’aucune protection particulière sauf à mettre en place des mécanismes de manière conventionnelle. Parmi ces techniques, figure le recours au démembrement croisé sur des parts de société civile
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Alexandra ARNAUD-EMERY Consultante en droit des affaires NCE

Opérer un démembrement croisé des parts sociales d’une société civile immobilière permet d’assurer au survivant des concubins la jouissance paisible de l’immeuble, puisque ledit concubin, une fois le premier décès intervenu, détiendrait la moitié des parts sociales en pleine propriété, et l’autre moitié en usufruit. Les héritiers du défunt ne recevant que la nue- propriété de la moitié des parts sociales.

L’objectif poursuivi consiste à fournir au survivant la maitrise du pouvoir sur le bien social tout en évitant de mettre à l’écart les héritiers. Ce schéma répond aux souhaits de personnes ayant des enfants de premiers lits ne voulant pas se marier ou se pacser de protéger le survivant. Souvent un remariage ferait perdre le bénéfice de la pension de réversion.

L’efficacité de ce schéma est renforcée par l’aménagement contractuel des statuts. Les clauses « objet social » et « pouvoirs du gérant » doivent être rédigées de manière large pour laisser tous les pouvoirs aux co-gérants puis au gérant survivant. La gérance doit être établie sous la forme d’une cogérance. Les statuts doivent effectivement prévoir la mise à disposition à titre gratuit au profit des associés, que cette possibilité soit intégrée dans l’objet social ou explicitée dans une clause statutaire particulière. Cette précaution peut être doublée par la mise en place d’un commodat (prêt à usage) au profit des concubins. Les clauses de répartition des droits de vote et des droits financiers doivent être également aménagées.

Concernant les modalités de la mise en œuvre, la majorité des auteurs considèrent qu’il est impossible de pratiquer par un démembrement ab initio malgré son intérêt évident (Jean-Pierre GARÇON, « Un montage inquiétant : le démembrement ab initio du capital social souscrit en numéraire » JCP N 2003, n° 48, p. 1734). Il est donc préférable de procéder à l’échange croisé de droits démembrés après la souscription des parts.

Dès lors, il convient de procéder de la manière suivante :

1/ Constitution de la SCI avec deux concubins

2/ Réalisation de l’échange après immatriculation :

Pour instituer ce démembrement, les concubins font des apports en numéraire à une société civile, laquelle rémunère les apports par l’octroi de parts en pleine propriété. Ensuite, les concubins réalisent un échange. Il convient de rappeler qu’il sera loisible aux concubins de choisir l’objet de l’échange (la nue-propriété ou l’usufruit des parts), afin d’optimiser au mieux de leurs intérêts, l’assiette des droits de mutation. Le montant des apports en numéraire doit permettre d’effectuer des échanges égalitaires.

3/ Achat de l’immeuble

Au décès de l’un des associés, le survivant recueillera en franchise d’impôt, l’usufruit des parts dont il n’avait que la nue-propriété (article 1133 CGI) et en outre, demeurera usufruitier des autres parts. Ses parts en nue-propriété reviendront à ses héritiers qui recueilleront la pleine propriété au décès du survivant puisque cet usufruit s’éteindra. De même au décès du survivant, ses héritiers recevront en toute propriété les parts qu’il avait à l’origine en nue-propriété.

Lorsque le financement de l’immeuble est réalisé au moyen d’un emprunt dont le remboursement des annuités passent par des avances en comptes courants d’associés réalisées par chaque concubin, le problème se déplace.

En cas de décès de l’un des concubins, le concubin survivant devient pour une fraction des parts sociales plein propriétaire et reste usufruitier pour le solde. Les enfants du défunt récupèrent une fraction de la nue-propriété des parts sociales de leur auteur et le compte courant d’associé. S’agissant d’une créance, elle est transmise aux héritiers du défunt donc aux enfants de chacun des concubins, ces derniers recueillant en plus la nue-propriété des parts sociales de leur auteur.

Il résulte des principes applicables aux comptes courants d’associé, qu’à défaut de clause statutaire (antérieure au dépôt des fonds) ou de stipulation conventionnelle contraire, un associé peut demander le remboursement des sommes avancées à tout moment.

Autrement dit, les héritiers pourraient remettre en cause la stabilité initialement souhaitée par les concubins (dont leur auteur décédé) en demandant le remboursement immédiat du compte courant d’associé si aucune convention en sens contraire n’avait été conclue préalablement entre les associés (concubins) et la société.

A cet égard, une ancienne décision de jurisprudence considère qu’à la suite du décès du titulaire du compte d’associé, les héritiers qu’ils acquièrent ou non la qualité d’associé, sont tenus par les conventions de blocage (Cass. com. 2 mai 1983, Rev. Soc. 1984, p. 47). La demande de remboursement de compte courant formulée par les héritiers d’un associé doit être rejetée dès lors que cette demande se heurte à une clause statuaire qui n’accorde aucune autorisation aux associés de retirer de leur volonté les fonds déposés en leur compte courant et à une convention qui stipule que les associés s’engagent à ne pas exiger le remboursement des sommes versées tant qu’ils resteront associés de la société.

Rappelons par ailleurs que le compte courant d’associé matérialisant une créance de l’associé sur la société, tout transfert affectant celle-ci relève des dispositions des articles 1321 et suivants du Code civil. L’article 1324 du Code civil prévoit à ce titre dans alinéa 2 « Le débiteur peut opposer au cessionnaire les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l’exception d’inexécution, la résolution ou la compensation des dettes connexes. Il peut également opposer les exceptions nées de ses rapports avec le cédant avant que la cession lui soit devenue opposable, telles que l’octroi d’un terme, la remise de dette ou la compensation de dettes non connexes ».

La technique du démembrement croisé sur parts sociales de sociétés civiles impose de rédiger des conventions destinées à gérer le devenir des comptes courants d’associés de chacun des associés au moment de leur décès respectif.